Panait Istrati : acte premier, Kyra Kyralina

La matière est sensible, autant donc évacuer les questions épineuses dès le début. Mon point de vue inclut en règle générale plus qu’il n’exclut : Panait Istrati appartient à la France. Il a écrit en français, a habité en France, entre autres à Masevaux, où je rêve secrètement d’acheter une maison pour mes vieux jours, en tant que localité la moins chère de mon département, ou presque. Même lorsqu’il emploie à la chaîne des mots roumains ou fait revivre des quartiers de Brăila ou Galați, il se rattache à la littérature française. Les critiques et autres universitaires roumains, voire français, qui ne se priveront pas de prendre position sur le sujet, j’y reviendrai sans doute un jour, considéreront leur objet d’étude comme bon leur semble, ils ne sauraient interdire toute position divergente. Ceci posé, Kyra Kyralina, en roumain Chira Chiralina, traduit ou transposé par l’auteur lui-même, inaugure l’œuvre d’Istrati, son roman le plus célèbre, central, le plus abordable aussi, le plus universel.

Dieu qu’il y aurait de choses à en dire. En premier lieu, il s’agit de l’amour qu’un frère porte à sa sœur, une des choses les plus universelles qu’on puisse imaginer à l’époque dont on parle. Aujourd’hui, avec moins de deux enfants par femme en France, bien moins en Roumanie, la situation a certes changé, mais tout de même. Et puis, les enfants en question ont perdu leurs parents.

Ensuite, en 1923, l’auteur aborde la question de l’homosexualité de front et va dans le sens de la tolérance, sans cependant nier l’existence de la débauche. Si l’on se souvient de Proust et de ses considérations sur la malédiction des invertis, son audace saute aux yeux. Mais Istrati était un guerrier. Ses personnages sympathiques brûlent en permanence la chandelle par les deux bouts, ne savent pas épargner ou compter et vivent au jour le jour, souvent dans la misère. Ils possèdent cette chaleur qui leur confère la vie et les rend capables de ces émotions de la ressusciter en les autres, comme l’amitié, la plupart du temps, mais aussi le courage physique, celui des haïdoucs, que nous rencontrons également ici pour la première fois : Cosma et Élie.

L’Orient imprègne aussi ce roman, qui s’étend jusqu’à Istanbul et Damas, lieux de débauche, mais aussi de liberté, comme celle qui est fournie à Stavro par la vente du salep. Depuis ce roman, j’en ai acheté à l’épicerie turque du coin, et je m’en fais à l’occasion, dès que j’ai envie d’être libre. La contrepartie de la liberté consiste en une cruauté parfois primitive : crever les yeux à sa femme en guise de punition pour débauche, par exemple. Aujourd’hui, les chansons sur les radios destinées au grand public crachent couramment du nouchi, Istrati a fait entrer l’Orient, surtout le roumain, dans la langue française, sans lendemain, malheureusement au fond, quand on pense à tous les anglicismes contemporains, pas seulement dans la langue de Molière.

L’œuvre ne fait pourtant que commencer, elle qui ouvre sur tant d’infini…

Robin Plancque

Le chocolat noir de Gib I. Mihăescu

 

Nous sommes en Roumanie dans les années 1920 : on reconnaît à l’évocation de la statue de Mathias Corvin la ville de Cluj. Lucian Negrișor est amoureux de mademoiselle Eleonora, amour contrarié au point qu’elle se marie avec son rival, Modreanu. Lors de ses tribulations dans la ville, Lucian Negrișor, en roumain le « noiraud », croise une Hongroise, Șari, elle aussi une femme chocolat, à cause de la couleur de sa peau. Mais il revient vers mademoiselle Eleonora, qui…

Un roman expérimental d’une voix à part dans la littérature roumaine, à une période où Panait Istrati écrit des romans de heiduques. La structure du roman tient quelque peu du puzzle, mais comme il ne se prolonge guère, on ne s’y perd pas. Plusieurs thèmes se dégagent, le premier restant pour moi celui de la jeunesse masculine, de ses fantasmes, de ses hésitations, de ses renoncements, de son exclusion, sa désinsertion dirait-on aujourd’hui. Negrișor, le narrateur, fantasme sur une scie qui découperait son rival, mais hésite, puis se dérobe devant elle, comme lorsqu’on n’ose guère aborder quelqu’un. Lucian s’exclut à un tel point qu’il finit par coucher avec une Hongroise, dont la peau ressemble cependant à celle d’Eleonora, une couleur chocolat qui devient une obsession, à tel point que lorsqu’il essaye de s’expliquer, il se fait confus comme Virgil Tănase.

Romancer les amours d’un jeune Roumain et de deux noires relevait en 1925 de la folie, ou pas loin. Mais l’auteur savait sans doute qu’on n’est jamais très loin de la folie et l’obsession, physique surtout, ressemble au fil rouge de son œuvre. Dans la littérature de son pays, Gib I. Mihăescu, comme ailleurs du reste, demeure à part, entouré de ces peaux noires que je croisais jadis du côté de Strasbourg Saint-Denis, à Paris, rue Sainte-Apolline. S’y plonger, discrètement, du regard, provoquait vite une fascination paradoxale, celle d’un champ brun lissé par ses grains de beauté. Quant à la Femme chocolat, elle pousse à s’encanailler dans des endroits peu recommandables comme Negrișor s’assoit  sur l’appui des fenêtres : c’est une potion dangereuse mais aphrodisiaque, érotique jusqu’à une perte qu’on espère délicieuse.

Robin Plancque

L’histoire perdue de Mateiu Caragiale

Je ne suis pas de ceux qui croient qu’il y ait des premiers de cordée et des derniers de cordée. Cependant, il existe une littérature qui gagne, et une autre qui perd. La première, à moins qu’il ne s’agisse finalement de la dernière (les choses finissent fréquemment par changer), n’a pas vraiment besoin de moi : j’ai l’impression qu’on la retrouve déjà partout.

L’œuvre de Mateiu Caragiale (1885-1936) entre en France dans la seconde catégorie. Son grand roman a été traduit du roumain en français sous le titre Les Seigneurs du Vieux-Castel par Claude Levenson et se trouve indisponible, même d’occasion. On pourrait presque généraliser à l’ensemble de la littérature venue de Roumanie : difficile de s’en procurer ne serait-ce que les classiques.

Un objet à trouver

Ceci posé en tant que décor, j’ai le plaisir de posséder Pajere / Aigles royaux, qui est donc une édition bilingue des poésies du même Mateiu Caragiale, que j’ai achetée d’occasion sur un site roumain. Pour progresser dans la description de la situation, on parle toujours de l’auteur en citant son nom et son prénom, pour le différencier de son père, Ion Luca Caragiale, considéré comme l’un des trois grands classiques de la littérature roumaine (avec Eminescu et Creangă), ceci pour ceux que les hiérarchies rassurent. L’œuvre du père est tout aussi introuvable en français, et les biographies officielles oublient rarement de mentionner que nous parlons d’un fils « naturel ». Enfin, mentionner une question épineuse, la prononciation : [‘matej] en vous priant d’excuser ma transcription en alphabet API, je n’ai plus pratiqué depuis longtemps. En d’autres termes, le « u » final ne se prononce pas. Une perte de plus.

Le livre est d’un format énorme : il dépasse le A4 pour une centaine de pages de poèmes, et encore. Nous sommes en 1983 et le livre a été conçu comme une œuvre d’art, pour le plus grand nombre si je considère le prix que j’ai payé. De vieilles illustrations ont été récupérées dans des livres du dix-huitième siècle, on a sorti des lettrines et des polices un peu particulières, le papier est soigné, les noms de tous les techniciens sont cités, enfin bref : un objet.

S’il fallait extrapoler : 1983, éditions Cartea românească (le livre roumain, littéralement, difficile de faire plus officiel), à une époque où le régime de Ceaușescu n’était pas encore finissant, mais déjà bien avancé dans son tournant nationaliste. Aigles royaux : un titre idéal pour une édition de prestige censée illustrer la grandeur du pays, donc plus ou moins du régime.

Le cahier des charges de Romulus Vulpescu

Le texte porte plus ou moins la marque de ce prestige : le traducteur, Romulus Vulpescu, s’est imposé un cahier des charges qui ressemble à quelque pensum. Il a traduit les poèmes en alexandrins, avec rimes et douze pieds à chaque vers. Ceci alors que la versification roumaine d’origine est (comme chez d’autres poètes roumains, mais sans qu’on puisse attribuer à cette forme le même caractère académique que l’alexandrin a pu avoir en France) irrégulière : en général, autant que je sache scander en roumain, un vers de treize syllabes alterne avec un vers de quatorze. Je ne parle même pas de la forme en France à cette époque : je me souviens avoir lu dans les premières pages des Inrockuptibles quelques années plus tard un poème de Nathalie Quintane, et j’y aurais bien cherché des alexandrins, mais…

La question du nationalisme

Le traducteur fait preuve d’une grande érudition. Le texte ne lui épargne guère les difficultés, dès le titre. « Pajere », ce sont effectivement les aigles royaux, au sens de l’espèce biologique d’aigles, mais aussi les aigles en héraldique. Histoire de se casser un peu la tête : en français, les aigles en héraldique sont féminins. Faut-il alors dire « aigles royaux » ou « aigles royales » ? Toutefois, le français n’est pas sa langue maternelle et il finit toujours par en rester quelque chose (épicuréisme pour épicurisme, par exemple). Ceci étant, son travail reste une incroyable somme, un labeur à respecter. On peut aussi ne pas partager sa vision du texte de Mateiu Caragiale : Vulpescu y voit « un féodalisme dur (…) qui éleva une barrière de courage devant les migrations et les invasions traditionnelles ». Après la chute du communisme, il gagna les rangs du parti nationaliste de Vadim Tudor.

Le féodalisme est certes dur, j’ai cependant tendance à attribuer aux poésies de Mateiu Caragiale une portée plus générale. Les termes employés, souvent dans les titres, comme « le guerrier », le « dignitaire » ou le « vaincu » peuvent désigner des hommes vivant sous tout régime. Je crois que l’auteur vise le pouvoir en général, qu’il qualifie de sanglant, voire de triste, surtout pour les femmes (voir ses vers sur les princesses). La barrière de courage est encore plus douteuse : les créatures épargnées par la sauvagerie des hommes ne paraissent guère exister, si ce n’est un « sage », le seul qui soit égaré au milieu du massacre, en lequel on peut voir un portrait fantasmé du poète tel qu’il devrait être. De même, si l’étranger est parfois dépeint en termes peu flatteurs, le « chroniqueur », le « boyard » ou le « dignitaire » sont des autochtones : on n’a donc guère besoin d’invasions pour obtenir le carnage. En apparence, les ors du pouvoir sont élégants et la poésie prestigieuse. Mateiu Caragiale était d’ailleurs attaché aux apparences de la noblesse et calé en héraldique, entre autres. Mais le fruit est véreux et, à l’intérieur des poésies, la véritable nature des dirigeants et, chose importante, leur profond malheur, se révèlent. Satirique, misanthrope, Mateiu Caragiale s’éloigne du sage qu’il décrit. Sa biographie décrit une vie d’excès en tous genres, de crises morales. Autre différence : le sage est oublié des chroniqueurs, Mateiu Caragiale est bel et bien passé à la postérité et toujours lu. Enfin, plutôt en Roumanie, où ses livres sont trouvables…

Une figure : Perpessicius

Perpessicius, c’était son pseudonyme, était une figure de la critique roumaine. Critique influent à son époque, héros de la première guerre mondiale, où il fut amputé d’un bras, il écrivit également des poésies, aujourd’hui introuvables même en Roumanie. Il est resté « célèbre » (c’est relatif) pour avoir établi une édition complète (énorme, une quinzaine de gros volumes) des œuvres de Mihai Eminescu, qui est considéré en Roumanie comme le poète national. Mais il faut essayer d’éclairer un peu le concept : pourquoi poète national ? Parce qu’il a contribué à forger la langue roumaine, dont l’usage était encore récent, en inventant des mots qui sont restés jusqu’à aujourd’hui, et est demeuré populaire. Je n’ai guère d’équivalent français à proposer : Du Bellay ou Ronsard, mais La Pléiade préconisait l’imitation des Anciens et quels poètes de l’époque sont toujours vraiment populaires aujourd’hui ?

Victor Hugo, c’était plus tard. La place de William Shakespeare dans la littérature anglaise me paraît un point de comparaison plus pertinent.

À la même époque, il a également établi une édition des œuvres de Mateiu Caragiale, un peu oubliée, dans l’ombre de celle d’Eminescu. Le tableau chronologique à la fin de l’œuvre est, je pense, un des seuls, voire le seul texte de lui traduit en français.

C’est un peu cela, un haveur, celui qui creuse pour trouver des textes perdus, comme ces mineurs de mon enfance et de ma région, qui se sont eux aussi perdus.

Robin Plancque

Les dits et non-dits de Jeanne Galzy

La narratrice des Allongés est atteinte de la tuberculose osseuse et fait, comme beaucoup de malades à cette époque, un séjour à Berck pour guérir. Noter que le nom de la ville est « tabou », évoqué seulement à la page 96, au milieu du roman. Au passage, on reconnaît des endroits, comme le Casino, le Kursaal, qui existe toujours ; l’hôpital est désigné d’une métonymie et d’une périphrase en même temps : « la maison des Sables ». Le récit oscille constamment entre le dit, car on parle tout de même beaucoup pour une action réduite, et le non-dit, car le nom de Berck n’est pas le seul à devoir être tu.

On peut facilement étendre la question à celle du non-lu, car les livres de Jeanne Galzy ne sont plus lus : je me suis quant à moi procuré d’occasion cette édition Gallimard de 1975, il y a plus de quarante ans. Pourtant, l’autrice a obtenu pour ce roman le prix Femina en 1923, elle a étudié à Normale Sup et a écrit toute sa vie, a même fait partie du jury du prix Femina. Je veux bien me risquer à quelques explications : elle a vécu l’essentiel de sa vie à Montpellier, éloignée des cercles littéraires parisiens ; elle était tout de même diminuée après sa tuberculose et n’a sans doute pas pu poursuivre la carrière dans l’enseignement qu’elle aurait eue autrement ; disons-le tout de go, c’était une femme. Possible.

J’évoque ici également mon biais personnel : l’histoire de la littérature et son présent, qu’on appelle les ventes, la réduisent à quelques noms. C’est un peu comme dans le système scolaire par lequel nous sommes tous formés : on opère une sélection. Reste qu’il arrive qu’on fasse l’école buissonnière et que moi, je ne vais plus à l’école depuis belle lurette, sauf pour y accompagner mes filles. J’ai donc eu plaisir à redécouvrir des livres, par exemple sous la plume de Linda Lê (Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau) ou d’autres. Bref, rien ne vous empêche d’exercer votre regard critique sur la postérité, que ce soit celle des ventes ou celle des professeurs, surtout à une époque où l’on peut se procurer des dizaines de livres électroniques gratuits ou des livres d’occasion bon marché sans sortir de chez soi.

On retrouve dans Les Allongés d’assez nombreux personnages, presque tous des malades : Desurmont, proche de la narratrice, qui est le premier à mourir ; Fanny Mazurier, l’infatigable croyante ; Gerda Dewimy, qui guérit au cours du livre, comme la narratrice à la fin ; la jeune Solveig, qui part de Berck vers Leysin puis meurt ; le petit Bertrand, qui se révolte, se démène contre la maladie sans se résigner ; le distant Alain Gilbert, qui vit un amour contrarié avec Anne de Fervange, qui ne l’aime jamais autant que dans la mort. Je pense avoir évoqué les plus importants, il y en a d’autres, tous se distinguent plus ou moins par leur attitude face à la maladie, donc à la mort. Ils parlent entre eux, débattent : il s’agit le plus souvent de discussions morales sur l’attitude à adopter face à l’épreuve. Là où le livre a certainement le plus vieilli, c’est le cadre religieux, désuet pour nous aujourd’hui, qui imprègne les débats et réflexions intérieures (qui sont majoritaires) de la narratrice.

C’est là le premier paradoxe : bien que la narratrice ne soit pas à proprement parler croyante (c’est-à-dire qu’elle croit davantage en un principe général qu’elle appelle « amour » plutôt qu’en Dieu stricto sensu), elle emploie souvent des termes comme « foi dogmatique », « martyre », « calvaire », « miracle ». D’un autre côté, pouvait-elle se dire athée publiquement, sans conséquences fâcheuses, en tant que femme en 1923 en France ?

Le second paradoxe est celui de la chair : bien que la narratrice condamne au départ les relations sexuelles entre malades ou, probablement, tarifées (le personnage d’Olianoff), la clémence de certains personnages (Gerda et Fanny Mazurier) viennent adoucir ce jugement. Le contraste entre la jeunesse et la beauté des « vivants », comme Line ou des jeunes malades (Solveig) est aussi fréquemment évoqué. Mais il relève lui aussi du non-dit et, si le qualificatif de « petite amie » n’avait pas la même connotation en 1923, son emploi n’est pas dû au hasard. Et s’il était peu concevable de se dire athée, se dire lesbienne…

Le troisième paradoxe nous est peu perceptible, pour une raison simple : Berck n’est plus ce qu’il était. Dans les années 20, on y venait pour guérir et alimenter une forme de commerce médical. Dans Les Allongés, on meurt. Évident, me direz-vous. Pas pour l’époque : le livre a fait scandale à Berck, où il a été critiqué pour démoraliser les malades et les personnels. Un contre-roman, plus ou moins une commande du monde médical, a été écrit un peu plus tard, une sorte de Grey’s Anatomy de l’époque, en plus dithyrambique, si cela est possible, à la gloire des héroïques médecins. Je pense que le point sensible, c’est l’évocation des morts et de l’évacuation presque clandestine et au plus vite des cadavres vers les gares les plus proches, au début du roman, dès le décès de Desurmont. La très brève allusion (une seule réplique) à l’odeur insupportable des malades, aussi. Même cette « libération de la parole », comme on dit de nos jours, cache un non-dit, qui est celui de la corruption. Un patient évoque simplement comment un chirurgien l’a arrangé, réplique sans suite. Pour le reste, les personnages, surtout les malades, sont presque tous des anges. Pour une véritable évocation de la corruption ou de la bassesse sous toutes ses formes, qui existent à l’hôpital comme ailleurs, on peut se référer utilement à Cœurs Cicatrisés de Max Blecher, traduit par Gabrielle Danoux, et dont l’action se déroule elle aussi à Berck.

En deux cent pages, le roman de Jeanne Galzy évoque un sujet intéressant et rare, dans un style assez soutenu, mais qui se retient : quelques termes techniques affluent ça et là, une épigraphe de Dante en italien trahit l’érudition de l’autrice. Du point de vue lexical, les influences religieuses et morales ont fait vieillir le texte plus vite qu’il aurait dû : cela me rappelle un peu ce que j’ai lu d’André Gide. Les développements philosophiques (est-ce que la vie légitime la mort…) m’ont souvent paru un peu longuets et, dans l’ensemble, on a souvent l’impression de plus être dans une autobiographie que dans un roman, bien que cela reste au bout du compte nettement un roman, comme en témoignent les extraordinaires développements sentimentaux (Anne de Fervange et Alain Gilbert, la narratrice et Solveig) : ne rêvez pas à cela lors de votre prochain séjour à l’hôpital ! Sa forme n’est pas révolutionnaire ou particulièrement innovante, mais j’y ai indéniablement appris sur l’époque, l’atmosphère de Berck, pourquoi pas sur la condition féminine après la première guerre mondiale, dont l’évocation, en dehors de clichés n’est pas si fréquente en littérature. J’ajoute aussi cette sensibilité au mouvement, à leurs détails, souvent propre aux malades, qui aujourd’hui reste rare comme un film de Bresson.

Robin Plancque

Location immobilière et option à la TVA

Quelques brèves considérations sur la question de la location immobilière et de la TVA, à l’attention de tous ceux ayant l’intention de se lancer dans ce type d’activité, souvent par le biais d’une société civile immobilière (SCI).

La législation en vigueur n’exige pas formellement mais peut inciter, dans un souci de prévoyance, à apporter un soin particulier à la forme de l’opération.

Locations concernées

Opérons tout d’abord quelques distinctions : la locations de locaux d’habitations n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, ni de plein droit, ni sur option. La location en meublé et les prestations à caractère plus ou moins hôtelier mériteraient des développements propres compte tenu de leurs spécificités, mais ce n’est guère l’endroit.

On peut évoquer brièvement les locations de locaux équipés, qui sont soumises de plein droit à la TVA en application de l’article . Cette situation se révèle souvent peu problématique. D’une part, elle est rare : une société civile immobilière se trouvant dans cette situation est en effet soumise également de plein droit à l’impôt sur les sociétés et, en cas d’exploitation industrielle, les locaux concernés seront évalués selon la méthode comptable (en matière de taxe foncière comme de cotisation foncière des entreprises), ce qui peut entraîner un surcoût important. D’autre part, cette situation ne nécessite pas d’option. On ne peut cependant que conseiller aux bailleurs de porter une attention particulière à leur formulaire de création d’entreprise, afin que l’activité de location équipée y soit mentionnée, sans confusion possible avec la location de locaux nus, plus complexe, comme nous allons le voir ci-après.

Nous intéressent donc ici les locations de locaux professionnels nus, soumises à la TVA sur option. Cette option est ouverte à tous, y compris les collectivités locales ou les associations sans but lucratif, à condition bien entendu de louer des locaux professionnels.

Le point de vue du bailleur

Le cas d’option le plus classique peut se décrire comme suit : le bailleur loue à un assujetti à la TVA, éventuellement une entreprise liée, qui peut donc déduire la TVA sur les loyers. Les investissements du bailleur sont importants : la déduction de la TVA sur les travaux contribue donc à financer le projet. Les cas sont cependant nombreux et les bailleurs pas forcément insensibles aux effets de mode. En d’autres termes, l’intérêt de ces options ne saute pas toujours aux yeux.

Dans les cas les plus simples, le bailleur, déjà assujetti, possède son immeuble depuis un certain temps et décide le louer. Ces cas ne sont pas les plus fréquents : investissements limités, donc TVA à déduire limitée et peu d’intérêt à opter. Parmi les cas plus marginaux, la location à un non-assujetti : dans ce cas, le bail doit mentionner la TVA dans les formes requises.

Le plus souvent, l’immeuble n’existe pas encore. Dans le cas d’une SCI, la société est créée d’abord, puis le terrain est acquis, les travaux débutés. Le bail n’est signé qu’à l’achèvement des locaux.

Du point de vue du bailleur de bonne foi, la situation est à la limite de l’évidence : il soumettra les loyers à la TVA, donc déduit dans un premier temps la TVA sur les travaux.

Le point de vue de l’agent

C’est là que les choses se corsent. L’évidence est rarement la chose du monde la mieux partagée. Essayons de nous placer quelque temps dans la situation de l’agent des finances publiques chargé de traiter une demande de remboursement de crédit de TVA quelques mois après la création de la SCI (ou autre structure) mentionnée plus haut.

De quoi dépend le droit du bailleur à obtenir le remboursement de la TVA ? De son droit à déduire la TVA.

De quoi dépend son droit à déduire la TVA ? De sa qualité d’assujetti ou pas à la TVA, selon le BOFIP.

De quoi dépend sa qualité d’assujetti à la TVA ? Depuis la suppression dans la plupart des cas de la taxation des livraisons à soi-même d’immeubles, il s’agit de se référer à la jurisprudence européenne (pour les plus férus, chercher l’arrêt Rompelman et suivants). Le critère discriminant, selon les juges européens, est l’intention d’effectuer des opérations imposables, sans que soit niée à l’administration la possibilité de s’assurer que l’intention soit confirmée par des éléments objectifs.

Attachons-nous en premier lieu aux éléments objectifs. Le plus souvent, le premier remboursement concerne la TVA sur l’achat du terrain. Autrement dit : les éléments objectifs, c’est en général pour la théorie. Une fois l’immeuble terminé, et que l’on pourrait s’assurer des éléments objectifs en question, les demandes de remboursement ont toutes été traitées. Il en reste cependant toujours quelques-uns présents au départ : le bail ou la promesse éventuelle, les premières factures, les premières déclarations. Il est toutefois rare, mais pas à exclure, que de tels documents puissent être en contradiction avec une location soumise à TVA.

Que reste-t-il donc ? Le document central : l’option à la TVA.

Pour le bailleur, évident. Mais cela tient à peu de choses pour l’agent des finances publiques au fond. Opter pour la TVA et faire finalement autre chose des locaux concernés, sans rembourser la TVA déduite initialement ? Rien de plus facile. À charge donc pour l’administration de surveiller les futurs loyers et destination des locaux, et quelle charge ! Mais je m’écarte du propos initial.

La forme de l’option

Le BOFIP est particulièrement explicite : en cas d’option par anticipation, c’est-à-dire lorsque les locaux n’existent pas encore, cette option doit obligatoirement désigner les locaux visés explicitement. Cela vous semble peut-être évident. Disons pudiquement, pour le côté agent, et sans manquer au devoir de réserve, que les options ne sont pas systématiquement faites en bonne et due forme.

S’agissant d’un document central, l’administration peut certes se montrer souple sur la forme de cette option, mais rien ne l’y oblige. D’autre part, en cas de contradictions ou de manques dans les « éléments objectifs » mentionnés plus haut, à quoi conclure, sans option valide, si ce n’est à l’absence d’intention de réaliser des opérations imposables ?

Pour prendre toutes assurances nécessaires donc, deux possibilités, en commençant par la meilleure.

Dès la création, adresser à son service des impôts des entreprises une lettre d’option mentionnant l’article 260 du CGI, l’immeuble concerné, correctement et précisément identifié, et dûment signée par le gérant en recommandé avec accusé de réception.

La seconde, plus économique : mentionner l’option en portant le même texte sur le formulaire de création d’entreprise. Noter cependant que l’option doit normalement être signée. Si la création d’entreprise est télédéclarée, s’assurer de la validité de la signature électronique.

Futurs constructeurs et bailleurs à la TVA, ne laissez rien au hasard.

Robin Plancque

Le cumul d’emploi en tant qu’agent public, acte I

Historique

Avant 2007, la réglementation, malgré quelques difficultés d’interprétation à la marge, était relativement claire : interdiction pour tous les fonctionnaires (sauf les enseignants) de toute activité rémunérée, quelques exceptions, dont la création d’œuvres de l’esprit.

En 2007, Jacques Chirac est au pouvoir, Dominique de Villepin premier ministre, l’UMP majoritaire au Parlement. L’idée est d’autoriser le cumul d’emplois aux fonctionnaires, entre autres plus ou moins pour compenser l’absence de revalorisation salariale. Le décret d’application de la loi est signé le 2 mai 2007, jour de l’élection présidentielle qui porte Nicolas Sarkozy au pouvoir. Les choses se compliquent quelque peu : l’idée était alors d’étendre peu à peu les situations de cumul. Conséquence : en 2011, nouveau décret qui modifie, et étend (légèrement) le champ d’application du cumul. Entre-temps, une circulaire est venu préciser préciser les conditions du cumul d’activités : la circulaire n° 2157 du 11 mars 2008.

En 2016, le pouvoir politique a changé : François Hollande est président, Manuel Valls premier ministre. Comme souvent, la législation change : le 20 avril 2016, loi, puis le 27 janvier 2017, décret d’application. Pour l’instant, le nouveau pouvoir politique semble s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur.

Pourquoi la situation est-elle un peu complexe ?

C’est assez simple : comme dans d’autres domaines, l’administration ne parvient pas, tout du moins à ce jour, à suivre l’évolution de la législation. De 2007 à 2017, soit en dix ans, j’ai compté quatre législations différentes, et encore, en négligeant les périodes pendant lesquelles les lois existaient sans décret d’application ou sans circulaire. De plus, l’administration établit également sa doctrine en fonction des décisions judiciaires en la matière. Or, un contentieux entre l’administration et un de ces agents, lorsque tous les recours sont exercés, dure souvent une vingtaine d’années jusqu’à une décision du Conseil d’état : l’administration ne dispose donc que de peu de recul, ne serait-ce que sur la réglementation de 2007. Alors, 2017…

Quoi qu’il en soit, nous nous retrouvons avec une situation profondément singulière : la circulaire de 2008 n’a pas été abrogée et reste la seule en la matière. Cependant, la loi a changé. Nous nous retrouvons donc schématiquement à interpréter une loi Hollande avec une circulaire Sarkozy.

Enfin, bien entendu, lorsque la législation est complexe, la question de sa portée pratique se pose.

Le grand principe

C’est l’interdiction du cumul d’emploi : un agent public doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées dans le cadre de son emploi public. La loi de 2016 semblait vouloir y revenir. Mais ce serait trop simple : la législation foisonne en effet et comporte de nombreuses exceptions : en fin de compte, il est bien difficile de savoir si le champ d’application a été restreint ou étendu, sans même parler des considérations pratiques, auxquelles nous reviendrons.

La gestion de son patrimoine privé

Cela peut paraître simple dans un premier temps : un fonctionnaire a le droit de gérer son patrimoine privé. Ce n’est pas parce que vous êtes fonctionnaire que vous ne pouvez pas placer votre argent. Vous pouvez aussi louer un appartement que vous possédez, ou acquérir des actions ou des parts sociales dans une entreprise.

Mais cela se complique rapidement. La réglementation interdit en effet à tout fonctionnaire exerçant à temps complet et à temps plein toute activité qui entraîne : immatriculation au registre de commerce, immatriculation au répertoire des métiers, immatriculation au régime social des indépendants. Louer un ou plusieurs logements en meublé (voire une salle de réception) peut par exemple entraîner une immatriculation au régime social des indépendants (à ce jour, au-dessus de 23 000 euros de recettes) ou, selon le cas, au registre de commerce. Réaliser des opérations de bourse peut également, selon les cas, certes exceptionnels, avoir les mêmes conséquences.

Supposons que vous possédiez de vieux livres et que vous souhaitiez les numériser afin de les publier en ligne, moyennant finances : en principe, vous devez vous immatriculer au régime social des indépendants, donc c’est interdit.

Les agents à temps incomplet

Il ne s’agit pas des agents à temps partiel, qui sont embauchés sur un emploi à temps plein mais demandent à exercer à temps partiel, mais des agents embauchés à temps incomplet, c’est-à-dire sur un emploi à 70 % par exemple. La distinction est subtile mais importante.

Un agent à temps incomplet à 70 % ou moins peut cumuler sur simple déclaration.

Un agent qui travaille à temps partiel à 70 % ne peut pas, sauf exceptions, cumuler. Il faudra cependant consacrer un paragraphe complet à la situation des agents à temps partiel, sur laquelle les juristes pourront faire la preuve de leur sagacité.

Le bénévolat

La circulaire du 11 mars 2008 vient préciser cette notion et lui donne une définition très large : le bénévolat, y compris pour des entreprises commerciales, relève de la vie privée de l’agent, donc cumul autorisé.

Limites : pas d’organes de direction, pas de participation aux litiges contre l’administration, pas d’intérêt avec des entreprises avec lesquelles l’agent est en relation.

La numérisation de vieux livres mentionnée plus haut est donc autorisée à titre gratuit. Ce blog, bénévole, sous réserve de sa conformité aux autres obligations des agents publics, est autorisé.

C’est suffisant pour aujourd’hui, la suite suivra dès que possible.

Robin Plancque

Le jour, plumitif

Inutile de s’étendre longuement pour commencer ce journal en ligne. Plumitif le jour, donc en ce moment, dans un de ses anciens sens, c’est-à-dire bureaucrate, une personne dont l’essentiel du travail consiste à écrire, un inspecteur des finances publiques pour mettre un terme aux synecdoques.

Haveur la nuit, je cumule donc, dans les limites de la réglementation en vigueur (j’espère revenir sur ce point dans un prochain message), mon métier avec une activité de traducteur littéraire dont l’ambition est de déterrer quelques textes oubliés pour les mettre à disposition moyennant un prix modéré sur les sites qui me permettent une publication suffisamment facile et gratuite.

Mais tout ceci est balbutiant à cette heure et, par conséquent, plus ou moins putatif.

Je ferai donc partager à qui cela peut intéresser, bien entendu dans la limite de mes devoirs en tant qu’agent public, ce que je pourrai de ces deux aspects, parmi d’autres, de ma modeste existence.

Robin Plancque